Comme tous les troisièmes jeudis de novembre, on a pu assister à « la sortie du Beaujolais Nouveau », avec comme toujours un battage médiatique digne de la sortie d’un film. Faisant la une non seulement du  JT de Jean-Pierre Pernaut, mais aussi de tous  les médias, ce vignoble fût à l’honneur durant deux jours. Chapeau bas pour ce coup marketing de génie qui m’amène  plusieurs réflexions.

 

1-   Le Beaujolais Nouveau, un vin facteur de cohésion social

Durant ces quelques jours, un vin crée donc l’évènement et  alimente toutes les conversations, relayant la météo, pourtant exécrable, aux oubliettes. On ne peut que se réjouir de constater que sous ce prétexte, nombre de pots sont organisés dans les entreprises, de même que des diners entre amis; Sans même , bref, autant d’occasions de festoyer et de créer du lien social, notion on ne peut plus à la mode.

Il faut savoir qu’en 1960, le Beaujolais Nouveau ne s’écoulait qu’à raison de 2 millions de bouteilles par an, alors qu’aujourd’hui, nous sommes proches des 100 millions de bouteilles, soit près d’un tiers de la production. Il va sans dire que le phénomène n’est pas que national et que le caractère festif de cette sortie du Beaujolais Nouveau, s’est fort bien exporté, notamment en Asie. Pour exemple, mon ami Youri Korsakoff, figure emblématique du vin en Asie du Sud-Est me disait que cette fête s’était véritablement institutionnalisé, avec des animations prévues aux 4 coins de Saigon. Réjouissons-nous que le vin conserve ce côté festif et fédérateur!

2-   Avec le Beaujolais Nouveau, la dégustation enfin désinhibée

Fait tout aussi marquant, la France, dans le même temps, s’essaie au grand jeu de la Dégustation, de manière totalement désinhibé, tout comme un enfant joue au Pictionary. Alors même que tout au long de l’année, le néophyte n’ose jamais émettre un avis sur le vin, de peur de dire une hérésie, il peut enfin se lâcher et exprimer ses goûts.

Je me suis d’ailleurs toujours élevé contre cette « boboïsation » des goûts en matière de vin et de gastronomie. Une certaine condescendance de certains, qu’on ne trouve d’ailleurs pas chez les œnologues les plus émérites;  voudrait qu’il n’y ait qu’une vérité en matière de dégustation. L’inculte, quant à lui, est socialement invité à garder le silence; ce qui explique d’ailleurs pourquoi dans les diners d’affaires, la carte de vins passe de mains en mains. Rassurons-nous, cette attitude n’est pas l’apanage du monde du vin; puisque dans l’art, on observe ces mêmes errements… Néanmoins, autant peut-on se permettre de dire qu’un tableau; fusse-t-il peint par un génie, ne nous provoque que peu d’émotion, autant pour un grand vin, c’est un crime de lèse-majesté… Il n’y en réalité que pour la sortie du Beaujolais que tout le monde peut dire tout et n’importe quoi sans risquer la vindicte populaire! Savourons donc ce temps d’expression viticole ouvert à tous!

3-   Avec le Beaujolais, le vin en mode marketing

Une autre réflexion me vient de cet engouement, issu d’un véritable coup de marketing. Aussi saugrenu que cela puisse paraitre; on peut se demander pourquoi diantre aucun autre vignoble ne s’est inspiré de ce lancement d’un vin à date fixe. Certes, il y a le Gaillac Nouveau, les Côtes du Rhône Nouveaux mais ce ne sont que des « sorties régionales », et qui plus est sur un vin nouveau, donc aussi difficile à appréhender que le sont les primeurs à Bordeaux.

En effet, on pourrait, par exemple,  imaginer que les vins de Saint-Emilion soient disponibles pour le consommateur, chaque année à telle date, avec un lancement à grands renforts de publicité. Ainsi, à la Saint-Vincent, patron des vignerons, la France serait aux aguets pour enfin goûter le Saint-Emilion, (le livrable bien entendu et non le primeur). Tout comme la fête des mères a été élargie à la fête des pères; puis des grands-mères (ne manque plus que les grands pères, puis les tantes, les marraines…); notre calendrier serait alors rythmé au fil des sorties des différents vignobles. Oui certes, l’opération est délicate puisque chaque propriété n’a pas la même durée d’élevage, mais cela devrait s’étudier…

Après avoir relu ces quelques réflexions, j’ai pensé que les effluves du beaujolais avaient légèrement altéré mon discernement; or, loin s’en faut, puisqu’à ma grande surprise, on m’a confirmé que notamment, certains vignobles avaient très sérieusement songé à prendre exemple sur le Beaujolais. En revanche, personne n’a réussi à m’expliquer pourquoi ces songes ne sont pas devenus réalité….

Arsène Bacchus